dimanche, avril 02, 2006

Serions-nous trop exigeants envers les valeurs technologiques ?

Janvier 2006. Yahoo annonce fièrement une hausse de 83 % de son bénéfice trimestriel. Les investisseurs sanctionnent la valeur cotée à Wall Street. Elle perd 13 % à l'annonce des résultats de la firme. Pourquoi vend-on du Yahoo après une telle performance ?

Que l'action chute quand l'on apprend que l'entreprise a collaboré avec le gouvernement chinois pour arrêter un internaute qui avait relayé une critique du gouvernement chinois sur son site… On aurait pu le comprendre. Non, ce qui semble inquiéter les marchés c'est que les résultats ne soient pas encore meilleurs. Le dynamisme dont fait preuve la firme qui multiplie les achats pour développer encore le web social, faut croire que ça ne convainc pas.

Et, comme la Bourse est un jeu de dominos où les ennemis mêmes sont liés, une valeur ne chute jamais seule. Ainsi, le manque de confiance dans Yahoo s'est immédiatement reflété par une chute des valeurs de Google, Amazon, Baidu et eBay. Les géants Internet sont-ils solidaires ? Finalement.

Après avoir encaissé le choc de Yahoo, eBay annonce, à son tour ses résultats. Il dévoile un bénéfice net trimestriel en hausse de 30 % à 279,2 millions de dollars. Mais ça n'est pas assez pour garder la confiance d'investisseurs trop méfiants. L'action perd 5 %. Que lui reproche-t-on ? Certains analystes parlent de frilosité. Comme si l'entreprise se reposait sur des lauriers pas assez prometteurs. Difficile à entendre.

On se souvient qu'en septembre dernier, eBay avait bravé les vents contraires pour créer la surprise en annonçant le rachat de Skype, le géant de la VoIP (Voice over Internet Protocol). Des voix s'étaient élevées accusant le manque de cohérence de cet investissement. L'avenir nous dira si le numéro un des enchères en ligne a su utiliser les synergies efficaces pour rentabiliser cette acquisition. Ce que l'on doit déjà reconnaître, c'est que ce mouvement est audacieux.

N'allons pas lui opposer l'argument de la frilosité quand il y a encore deux mois, elle devait justifier son rachat pour ne pas perdre la confiance de ses actionnaires ! Il est vrai que ce rachat peut rapporter gros. eBay pourrait définitivement enrayer la réticence des internautes à utiliser son service s'il leur permettait de se contacter par téléphone ou même par visioconférence via Skype.

Le leader des enchères en ligne peut gagner sur trois points. En donnant une confiance encore plus grande dans son service, ses utilisateurs actuels pourraient acheter plus. eBay pourrait gagner de nouveaux clients, des internautes qui, aujourd'hui, sont encore réticents à acheter aux enchères sur la Toile. Enfin, il gagnerait aussi sur les conversations téléphoniques et visioconférences.

Côté industrie, les valeurs technologiques subissent la même intransigeance. Dans la pléthore d'annonces, IBM se lance et dévoile une hausse de 13 % de son bénéfice net trimestriel, couplée à la décision, au quatrième trimestre 2005, de mener un plan de restructuration. Les investisseurs sont encore déçus.

Encore moins rassurant, Intel, le leader mondial des semi-conducteurs publie une hausse de 16 % de son bénéfice trimestriel et son titre chute de presque 9 %. Notons que la firme est au centre de l'actualité puisque Steve Jobs, PDG d'Apple et idole des utilisateurs de la marque, a annoncé au MacWorld qui s'est tenu à San Francisco la deuxième semaine de Janvier 2006, la sortie d'ordinateurs équipés de puces Intel.

Le public a plébiscité le personnage. Les Mac Intel qui avaient été annoncés et auxquels tout le monde s'attendait, ont, malgré tout, réussi à créer l'événement. Steve Jobs a encore redoré l'image de sa firme à la pomme. Deux heures après son discours, des publicités recouvraient les murs de San Francisco : "Vous vous demandez ce qu'une puce Intel fait dans un Mac ? Elle fait bien plus que dans un PC !".

Mais Intel n'a pas bénéficié de l'effervescence de cette annonce et de ce qu'elle promet. Les investisseurs ont sanctionné la valeur de cette entreprise leader sur son marché, en pleine santé et très prometteuse, notamment grâce à ce nouveau partenariat.

La Bourse est injuste. Elle exige des entreprises transparentes et en excellente santé dont les perspectives sont certaines mais aventureuses. La confiance des investisseurs, si difficilement gagnée, se perd en un instant.

Le scandale qui a éclaté en janvier 2006 autour du portail Internet japonais Livedoor est à l'image de cet équilibre aussi fragile que celui d'un funambule. L'entreprise nippone dont le PDG était devenu l'incarnation de la nouvelle économie au pays du soleil levant a vu sa capitalisation boursière s'évaporer en une séance.

260 milliards de dollars envolés. Il a suffi d'une image. Celle de la perquisition surprise des autorités japonaises au siège de Livedoor et au domicile de son PDG. Les médias étaient prévenus, ils ont filmé.

Le choc a été fulgurant. La confiance évanouie. La Bourse de Tokyo a dû fermer avec vingt minutes d'avance parce que le système de gestion des transactions sortantes menaçait d'exploser. Livedoor s'est délabré sur des présomptions. Rien de prouvé… déjà effondré. Comme un château de cartes. Dont le cas a été aggravé par la suite des évènements.

Il s'est avéré que les autorités japonaises soupçonnent Livedoor d'avoir camouflé une perte pour surévaluer le cours de Bourse et procéder à l'acquisition d'une équipe de base-ball professionnelle. Un proche du PDG a été retrouvé, deux jours après la première perquisition, mort dans une chambre d'hôtel. Les médias japonais ont parlé de suicide mais on ne sait pas exactement ce qui est arrivé à celui qui avait participé à l'introduction en Bourse du portail Internet en 2000…

Les investisseurs et analystes mettent-ils la barre trop haute pour ces valeurs technologiques porteuses d'un avenir à mille têtes ? Certainement. Pour leur bien ? Cette intransigeance sera-t-elle un frein à l'innovation ? Ou rendra-t-elle au contraire nécessaire la multiplication de perspectives ? L'avenir nous le dira. Mais, comme pour tout, seules celles qui auront un peu de chance pourront sortir vainqueurs de ce tribunal où l'équilibre de confiance se décide.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

J'avoue, je vous ai suivie d'AgoraVox jusqu'à votre blog (JC Lasserre)!

La réaction que vous apportez au commentaire que j'ai fait sur votre article (sur AgoraVox) me pose question : selon vous une perquisition (ex de Livedoor) dans une entreprise, a fortiori, dans le domaine des nouvelles technologies, n'est pas une raison suffisante pour déclencher la frilosité des investisseurs ?

Je reconnais être un néophyte sur ces questions boursières, même si je navigue dans le vaste domaine du commerce international. Cependant, il me semble que la probité des entreprises autant que leurs performances économiques sont des critères pertinents d'investissement... bien entendu aux réserves près dont vous vous faites l'écho. Le manque de vision à long terme (voire à moyen terme) de l'actionnariat est un problème important dans la gestion quotidienne des grandes compagnies : mais est-ce véritablement propre au secteur des nouvelles technologies ?

JC LASSERRE
littleakyo@hotmail.fr

Ananim a dit…

Il est vrai que le problème se pose dans tous les secteurs dès lors que les entreprises sont cotées.

Cependant, il me semble que pour ce qui est des nouvelles technologies, l'intransigeance des investisseurs est encore plus grande.

Sans prendre l'exemple de Livedoor, prenons celui d'eBay. Alors que l'entreprise est en très bonne santé et deux mois après (l'aventureux) rachat de Skype, le titre a chuté à l'annonce des résultats et j'ai lu dans la presse que certains analystes attribuaient la réaction des investisseurs à la frilosité de l'entreprise.

Pourtant, au lendemain du rachat de Skype, les investisseurs reprochaient au leader des enchères en ligne le manque de cohérence de la transaction !

Il me semble, même s'il est certain qu'on pourrait m'opposer certains arguments, que la versatilité des investisseurs est encore plus grande dans le secteur des nouvelles technos. Les réactions des investisseurs sont aussi rapides que les mouvements du secteur !

Quant à Livedoor, il est vrai qu'il n'est pas étonnant qu'une perquisition inquiète les investisseurs. C'est l'ampleur du phénomène qui peut surprendre : en deux heures, la capitalisation boursière était envolée... Vous ne pensez pas ?

Anonyme a dit…

Ces phénomènes suscitent effectivement foule d'interrogations.

Ne pourrait-on y voir un effet post-bulle Internet, où le moindre signe de ralentissement (ou disons, de calme de la courbe de croissance) est perçu comme l'éventuel prémisse de l'effondrement ?

Captivant billet Ornella :)

Ananim a dit…

Merci Alex !
Pour ce qui est du phénomène de la post bulle Internet, je pense que tu as raison, il y a de ça.

L'affolement immédiat des investisseurs est sans doute dû à l'histoire récente des valeurs technologiques.

Mais la volatilité de la confiance risque, à terme, de freiner les investissements. Et la frilosité des firmes technos pourraient, pour le coup, bel et bien nuire à leur santé

et... dans un cercle vicieux, donner de bonnes raisons, cette fois-ci, aux investisseurs de s'inquiéter.

Anonyme a dit…

Les mesaventures des nouvelles technologie sont encore présent dans les esprits des investisseurs. Et si cela persistent, les entreprises prendront moins le risques d'investir mème si les projets sont pertinents. Alors comment arriveront-on à faire que les investisseurs ont confiance aux entreprises à forte valeur ajouté?
Une idée m'est parvenu. Le problème ne se situe pas sur le manque de confiance à la matière grise, c'est à dire à la créativité de l'homme ?